Comment le business peut réduire la pauvreté : Concevoir des produits et services pour 3 milliards de nouveaux consommateurs (Berrett-Koehler, 2013), par Paul Polak et Mal Warwick

13 juillet 2014

Titre original : « The Business Solution to Poverty: Designing Products and Services for Three Billion New Customers (Berrett-Koehler, 2013) »

669 mots -Temps de lecture : 3 minutes

Mots clés

« Bottom of the pyramid strategies », « Saut périlleux mental », « Design à base zéro »

 


Review

Paul Polak, fondateur de International Development Entreprises (IDE), est un entrepreneur qui revendique d’avoir aidé avec sa société 17 millions de personnes à passer de la pauvreté à la classe moyenne, en concevant des produits (pompes à eau, systèmes d’irrigation low-cost etc…) permettant aux paysans les plus pauvres d’augmenter leurs revenus. Son co-auteur, Mel Warwick, est l’ancien président du Social Ventures Network (SVN), une organisation dont la mission est de soutenir les leaders qui veulent “mettre la force du business au service du bien commun”.

Dans ce livre, les auteurs posent la question des moyens pour faire disparaître la pauvreté extrême (moins de 2 dollars par jour).

Selon eux, le plus grand potentiel pour y parvenir se trouve désormais du côté du monde des affaires.

Les 2.7 milliards de personnes qui vivent avec moins de 2 dollars par jour représentent pour Polak et Warwick un marché considérable car ces personnes ont des besoins dans de nombreux domaines : eau potable, énergies renouvelables, logement, santé, éducation etc…

L’hypothèse est souvent faite que ce marché n’est pas assez rentable, mais les auteurs sont au contraire convaincus qu’il existe de nombreuses possibilités d’aider ces personnes à sortir de la pauvreté tout en réalisant des profits suffisamment attractifs pour des investisseurs.

Bien sûr, le “business as usual” n’est pas ici une option, car les modèles de business traditionnels tendent à systématiquement marginaliser les plus pauvres. Pour prospérer sur ce marché, les entreprises doivent proposer des produits et services qui répondent aux besoins de ces personnes non seulement en terme de prix mais aussi en termes de qualité et fiabilité.

La direction adoptée est la même que celle de C.K.Prahalad, l’auteur pionnier d’une approche du business qui prend en compte les plus pauvres (« The Fortune at the Bottom of the Pyramid », publié il y a 10 ans). Toutefois, le message est ici plus radical encore : alors que, selon eux, les stratégies “Bottom of the Pyramid” (BOP) ciblent avant tout les populations disposant de 5 et 10 dollars par jour, les auteurs veulent se concentrer sur les personnes disposant de moins de 2 dollars par jour.

Le coeur du livre est la description détaillée de modèles de business qui répondent à cet objectif. Voici deux éléments parmi les plus marquants :

– La nécessité de viser dès le départ un impact massif, ce qui suppose de faire un “saut périlleux mental” (“mental somersault”) : les entreprises doivent d’emblée avoir la vision d’atteindre 100 millions de clients et 10 milliards de dollars de chiffre d’affaires en l’espace de 10 ans, et d’être suffisamment rentables pour attirer les investisseurs (s’il n’y a pas un tel potentiel, “laissez-tomber”, conseillent les auteurs!).

– Une approche radicale de la conception des produits, qu’ils appellent “design à base-zero” (“zero-based design”). Il s’agit de renoncer à toutes les hypothèses communes sur les besoins de ces clients afin de concevoir des produits “impitoyablement abordables” (80% ou 90% en-dessous des prix mondiaux habituels). Cela ne se produit pas par magie : il s’agit de suivre un ensemble de lignes directrices, dont une écoute attentive, sur le terrain, des besoins réels. “Concevoir des produits pour les autres 90%” (“Designing for the other ninety percent”) est en fait un mouvement qui prend de l’ampleur aux Etats-Unis, déjà bien présent dans des universités comme le MIT (D-lab) ou Stanford (où le cours “Entrepreneurial Design for Extreme Affordability” a été créé). C’est à Stanford, par exemple, qu’a été développée une couveuse pour prématurés à une fraction du coût habituel.

Il est difficile de ne pas être secoué, au moins pendant quelques minutes, par le “saut périlleux mental” que demandent les auteurs. La règle “100 millions de consommateurs en 10 ans ou laissez tomber”, en particulier, peut sembler excessive ou irréaliste à beaucoup d’entrepreneurs qui préfèrent démarrer modestement et croître organiquement. Mais c’est une livre très stimulant, avec une forte dimension pratique, qui confirme que nous nous approchons d’une vraie révolution dans la façon dont le monde des affaires peut apporter une contribution décisive à l’élimination de la pauvreté extrême.